Arithmétique du toucher (extraits)


Version française des poèmes de Jan H. Mysjkin publiés en néerlandais dans nY #1 (mai 2009).
Texte français de l’auteur.

Séance de photographie

À l’heure convenue, rien ne manque
à la joie. Nous chevauchons côte à côte, un détective
à nos trousses, portant un chapeau cloche,
une amazone grise et une cravache. En sifflant
une gigue, ellui fait un boucan
qui met en rumeur tous les cônes rouges
parfois hauts d’un mètre, qui sont des termitières.
En me haussant sur les étriers, je peux cueillir
de grandes étoiles rouges
qui fleurissent certaines branches et qu’ellui glisse
à son corsage. Un quatuor de jeunes macaques file en travers
du sentier. Mais il n’y a rien
à dire à cela : ils ont des smokings.

                          ◊

Si le principe de la liberté du voisin n’est guère
sauvegardé, en revanche la liberté
d’incommoder le voisin s’y prend volontiers.

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Tout est pour le mieux

Au soleil, ille se rapproche de moi
et me fait un rempart de son ombre.

Ille me montre un arbre et ille dit :

« C’est une arbre. »

Ille me montre une vache et ille dit :

« C’est un vache. »

Ille me signale tous les cailloux avec sollicitude.

De temps en temps, ille se retourne
très hilare de voir que je suis encore en vie.

Ille est vraiment très sympathique.

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Kommencer à mener l’ekcistence

Avoirr l’enviable honneurr.

Une ggrravité glaciale nous a offerrt le plus officiel
des déjeuners intimes.

Prrononcer les mots tout entierrs.
Se rretirrer cérrémonieusement.

Fairre une bonne prromenade au soleil.
Se mettrre en habit pourr rrendrre la politesse d’un dîner.

L’atmosphèrre la plus gguindée assisterra demain en
uniforrme à la rréception.

S’arrrroser la korrolle.
Se klorre par des diskorrdes.

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Cortège d’éphémérides

Après l’heure d’attente traditionnelle est apparu un officier
au petit trot :
                         oiselet craintif.

Puis un peloton de volontaires en uniforme noir et blanc
secoués dans tous les sens :
                                                  nuage plein de poils.

Puis une escorte de lanciers rouge et or, admirables
cavaliers :
                    dix secondes au plomb doré.

Puis une voiturre où un gentleman rrésigné, koiffé de ggrris,
engguirrlandé de jasmin, était assis à kôté d’un sirr kui se
mourrrrait de corrrreksion :
                                                  viskèrres séchées.

Puis trois autres voitures, avec des dames ou des
fonctionnaires :
                             des rossignols au ras des lampadaires.

Puis ce fut tout.

          ◊

Sans vivats dans la foule, j’ai trouvé que les subtilités du protocole
manquaient de magnificence.

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Perles

Il y a eu les marchandes de perles se tenant debout
de chaque côté de la chaussée
sans trottoirs comme les marchandes de beurre
dans la rue d’une bourgade bretonne. 

Mais dis-moi, Charles, est-il vrai qu’un des génies des Mille et Une Nuits
s’était amusé à convertir en luxe tout ce qu’il y a de sordide ?

Il y a eu que les perles ruissellent dans les mains creusées.
Il y a eu qu’on les soupèse,
qu’on les palpe,
qu’on les fait cascader comme des haricots. 

Mais dis-moi, Charles, est-il vrai que le parc était féerique, illuminé jusqu’aux
plus hautes branches de ses banians et de ses tamaris de lanternes japonaises ?

Il y a eu les fakirs pouilleux, vêtus
d’un sac, qui vont
et viennent, théâtralement
s’appuyant sur un long bâton, comme Louis XIV. 

Mais dis-moi, Charles, est-il vrai qu’une chanteuse préparait une feuille de bétel,
a décortiquant de ses grosses nervures, l’enduisant de chaux, la saupoudrant de
graines de cardamome et la pliant comme un cachet de pharmacien ?

Il y a eu que les corneilles effrontées se posent
une seconde entre deux pieds nus,
et picorent un grain si vite
qu’elles ont l’air de voler une perle tombée. 

Mais dis-moi, Charles, est-il vrai que les dancing girls, plus jolies les unes que
les autres, offraient des sourcils purement arqués, des nez fins, des lèvres bien
dessinées ?

Il y a eu une bouteille de soda rose éclatant
d’un bruit sec de pistolet.
Il y a eu les perles, continuant à couler de main en main,
miroitantes sur leur lit de soie bleue.

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Versions françaises © 2009 by Jan H. Mysjkin